Anne de Kyïv (Kiev)

Anne de Ruthénie, reine de France

par
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2000 L 'Est européen-Ukraine Europe-Halyna et Ihor NABYTOVYTCH

 

annaport2.TIF (23735 octets)A compter de 1059 et jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, les rois de France, en accédant au trône prêtaient serment sur un très ancien Evangéliaire ruthène, écrit en écritures cyrillique et glagolitique. Il s'agit de l'Evangéliaire de Reims, un des plus anciens documents de la langue littéraire ruthène (ukrainienne), aujourd'hui conservé à la Bibliothèque Nationale de Paris. C'est Anne, la fille du Grand-Prince de Kyïv, Yaroslav le Sage, petite-fille de Volodymyr le Grand, qui a instauré officiellement le christianisme en Ukraine, qui a amené cet évangéliaire avec elle en France en 1049.

La date exacte de la naissance d'Anne est inconnue. Dans le «Récit des années passées », il n'y a aucun renseignement sur les filles de Yaroslav et d'Ingegerd (Irène) son épouse. Les anciennes chroniques ruthènes (ukrainiennes) informent peu et sommairement sur les femmes, même les plus nobles. Le nom d'Anna Yaroslavna (ou Agnès) est surtout connu d'après les chroniques françaises.

Nous connaissons aussi le destin de ses deux soeurs par des sources étrangères : sur l'aînée, Anastasia, épouse du roi de Hongrie, André Ier (dans les chroniques hongroises elle est évoquée seulement comme « fille du prince de Ruthénie »), par le chroniqueur polonais Jan Dlugosz; sur l'autre : Elisabeth, par l'historien islandais du XIIIe siècle, Snorri Sturlusson, dans «Heimskringli» (ce que l'on appelle « les sagas royales »). Elisabeth était l'épouse du célèbre viking norvégien, le conquérant Harald Hardrod qui devint roi de Norvège après la mort de son frère.

Le « Heimskringla » raconte les fiançailles et le mariage de Yaroslav le Sage avec Ingegerd la fille du roi suédois Olaf, et mère d'Anne.

Il est possible qu'Anne soit née en 1024 ou 1025. Une autre date, 1032, est donnée par l'historien russe V. Tatichtchev.

L'enfance et l'adolescence dAnne se sont déroulées à Kyïv, une ville grande et riche dès cette époque.

Le chroniqueur allemand Tietmar de Merzebourg décrivant les événements de l'année 1018 en Rous'- Ukraine écrit à propos de Kyïv : « Dans cette grande ville qui est la capitale du royaume on compte plus de 400 églises et 8 grands marchés. »

La Rous' (Ruthénie) Kiévienne, sous les règnes de Volodymyr et de Yaroslav, était devenue un Etat puissant avec lequel comptaient Byzance, l'empire Germanique et les royaumes Scandinaves.

Après la mort de son frère Mstyslav en 1036, Yaroslav le Sage devint « l'unique dirigeant de la terre rous' (ruthène) ».

Sur l'un,des murs de la cathédrale Sainte Sophie de Kyïv, construite sous le règne de Yaroslav, il y a une fresque représentant Anne avec sa mère la princesse Ingegerd et ses soeurs aînées.

Anne était une femme instruite. L'un de ses précepteurs fut Ilarion (« roussène », dit la chronique, c'est-à dire ruthène, donc ukrainien d'origine), qui fut désigné métropolite de la Rous'-Ukraine par Yaroslav sans l'avis du Patriarche de Constantinople.

En 1049, une délégation du roi de France ayant pour mission d'obtenir la main d'Anne pour le roi de France, Henri Ier arriva à Kyïv. Dans cette délégation, se trouvait l'évêque Gautier de la ville de Meaux, accompagné de nombreux grands nobles français.

Le roi de France avait beaucoup de raisons de demander la main de la princesse ukrainienne, de même que le Grand-Prince de Kyïv en avait aussi pour accepter ce mariage. Le roi de France avait besoin de s'assurer de l'aide dans sa lutte pour l'unification de la France. Il comptait aussi sur la dote importante que lui apporterait Anne. Une autre raison était l'interdiction de Rome des mariages entre parents jusqu'au septième degré ! A cette époque les familles royales et princières d'Europe étaient imbriquées à l'extrême par de nombreux liens familiaux. Robert Il, le père d'Henri Ier, avait été maudit et excommunié par le pape Grégoire V, du fait de son mariage avec une cousine au quatrième degré. Après six années d'insoumission, il fut obligé de venir vêtu de haillons, le licol sur le cou, demander son pardon à genoux devant le Pape

L'historien français, Caix de Saint-Aymour, dans son livre sur Anne et son mari a écrit : « Témoin de tous les affronts qu'a connus son père, toutes ses souffrances, il (Henri Ier) était enclin à se soumettre aux exigences de l'Eglise. Pour ces raisons, ayant perdu sa femme Mathilde, fille de l'empereur germanique Henri II, morte en 1044 sans lui laisser d'héritier mâle, il hésita longtemps à choisir une seconde épouse. »

annadepart.tif (54710 octets)Yaroslav le Sage, de son côté, souhaitait avoir des alliés en Europe occidentale dans sa politique anti-byzantine de ce temps-là.

Le 19 mai 1051, à la Pentecôte, Anne épousa donc le roi Henri Ier dans la cathédrale de Reims, là où étaient couronnés tous les monarques français. Elle reçut en même temps l'onction d'huile sainte qui la consacrait reine de France.

La vie conjugale ne lui apporta pas le bonheur. Henri, qui était beaucoup plus âgé qu'Anne, était un monarque de faible caractère et un mari débauché.

Toute sa vie, elle songea à retourner à Kyïv, tant elle avait la nostalgie de sa patrie.

Anne donna naissance à trois fils. Le premier naquit en 1053 et devint plus tard roi de France sous le nom de Philippe ler. Le deuxième fils, Robert, mourut enfant. Le troisième, Hugues, surnommé le Grand, comte de Vermandois, fut l'un des héros de la première Croisade.

A l'âge de six ans, le 29 mai 1059, le fils aîné d'Anne, Philippe, fut sacré roi à Reims, du vivant de son père Henri Ier. Il fut le premier roi de France à prêter serment sur l'Evangéliaire de Reims.

Le roi Henri Ier meurt le 4 août 1060, près d'Orléans. La formule juridique de continuité du pouvoir royal : « Le roi est mort ! Vive le roi ! » fut prononcée, et Philippe encore mineur devint le roi légal et sa mère devint régente.

Le nom d'Anne est lié à l'une des plus étonnantes énigmes dynastiques de l'histoire de France et donc aussi de l'histoire de l'Europe.

Les sources historiques françaises lient le nom d'Anne d'Anne à celui de Raoul le Grand, comte de Crépy et Valois, qui était un proche parent du roi. Raoul, descendant de Charlemagne, était, comme l'écrivit un historien français, « un des magnats les plus puissants, et un des plus indépendants de tous ceux de France ». Il «ne reconnaissait aucun pouvoir supérieur au sien, surtout si ce pouvoir contrariait ses desseins ; il ne craignait ni l'armée royale, ni les foudres de l'Eglise».

Le roi Henri ne put empêcher des relations intimes entre Anne et Raoul et demanda l'aide du pape Nicolas II à cet effet. On a conservé la lettre que ce pape a adressée à Anne, lettre dans laquelle, louant la piété et la dévotion de la reine de France, il la priait de « prendre soin du roi ».

Henri Ier appartenait à la dynastie française des Capétiens. Le fondateur de cette lignée fut Hugues Capet (Henri en était le petit-fils) élu roi en 987, après la mort du dernier roi issu de la lignée des Carolingiens.

La dynastie des Capétiens, d'après la version officielle de l'historiographie française, s'est éteinte en 1328, après la mort du roi Charles IV. Cette année-là, avec l'accession au trône de Philippe VI, se termine la dynastie des Capétiens.

Mais si Philippe n'est pas le fils d'Henri, mais celui de Raoul, la lignée des Capétiens ne s'est pas éteinte en 1328, mais en 1059, lorsque Philippe Ier fut proclamé roi.

Après la mort d'Henri, Raoul épouse Anna Yaroslavna, et devint le tuteur du roi mineur, aidant Anne à gouverner la France. Quoiqu'il en soit, la solution de cette énigme n'est connue que de la seule Anne...

Le mariage officiel d'Anne et de Raoul eut lieu en 1062. Auparavant, Raoul avait eu deux épouses et cinq enfants de ces deux mariages. Sa première épouse était morte, et il répudia la deuxième, la soupçonnant d'infidélité.
Après le mariage d'Anne et de Raoul, sa précédente épouse n'accepta pas sa répudiation et s'adressa au pape. Le pape Alexandre II excommunia Raoul et proclama nul son mariage avec Anne. Mais Anne et Raoul continuèrent à mener une vie conjugale jusqu'à la mort de ce dernier en 1074.

Après la mort d'Henri, Anne vécut au château de Senlis. Comme l'a écrit un chroniqueur français du Moyen Age, elle aimait Senlis, vieille ville royale, « non seulement pour l'air pur qu'on y respirait, mais surtout pour le plaisir de la chasse qu'elle appréciait particulièrement ». Ici, à Senlis, dans le faubourg de Vietel, sur l'emplacement d'une chapelle « en ruines et complètement dévastée » on édifia sur son ordre l'église de Saint-Vincent et une abbaye. Cette abbaye perdura jusqu'au XVIIe siècle. Chaque année on y célébra une messe à son souvenir.

Quelques documents signés par Anna Yaroslavna ont été conservés. Sur l'un d'eux datant de 1069, il y a une signature d'Anne en caractères cyrilliques : anna2.GIF (2722 octets)« ANA REYNA » (Anna Regina, reine). Sur un autre acte, une signature en latin : Annae matris Filipi Regis (Anne mère du roi Philippe).

Sur le portail de l'église Saint-Vincent de Senlis se trouve une sculpture représentant Anne. Elle y est représentée avec de longues tresses épaisses, une couronne sur la tête. Dans la main droite, elle tient un sceptre, un des symbôles du pouvoir royal, dans la main gauche, une église en miniature. La ressemblance est frappante entre cette sculpture et la fresque représentant Yaroslav le Sage dans la cathédrale Sainte-Sophie de Kyïv, où Yaroslav tient lui aussi une église dans les mains, en offrande à Dieu.

Le dernier document cosigné par Anne et Philippe est daté de 1075. Les chroniques françaises n'évoquent pas le destin ultérieur d'Anna Yaroslavna. On ne connaît pas la date, ni l'année de sa mort. On ne connaît pas non plus l'endroit où se trouve sa tombe. L'inscription peu explicite qui est sous la sculpture d'Anne dans l'église de Senlis, nous dit qu'elle « est retournée dans le pays de ses ancêtres ». Peut-être, en effet, après de longues années à l'étranger, torturée par la nostalgie de sa patrie, est-elle retournée en Ukraine, sa terre natale, pour s'unir à celle-ci pour l'éternité?

ã 1998 Halyna et Ihor NABYTOVYTCH
(Drohobytch)