Les indépendantistes ukrainiens dans les camps de la mort nazis
par
Youri Pokaltchouk (*)
©2000 -L'Ukraine-L'Est européen-Ukraine Europe

 

L'extermination massive des Juifs dans les camps hitlériens est le sommet de l'horreur de l'histoire humaine, dont le souvenir a été ravivé lorsqu'on marqua le cinquantième anniversaire de la libération d'Auschwitz-Birkenau, le plus tristement célèbre de ces camps.

Si les nazis voulaient exterminer les Juifs, ils n'ont pas épargné les antifascistes allemands et ceux des pays occupés, les homosexuels ou les fidèles de certaines sectes religieuses. Le sort réservé aux Tziganes n'était guère plus enviable que celui des Juifs.

Mais, en Occident on ignore généralement que les nazis ont aussi cruellement traité les indépendantistes ukrainiens. Certes, ils furent nombreux en 1941 à accueillir les Allemands comme des libérateurs, voyant naïvement en eux des Européens civilisés qui allaient délivrer l'Ukraine de la domination russo-communiste (1). Dès les premiers jours, un gouvernement s'est constitué à Lviv et a proclamé l'indépendance de l'Ukraine. Une semaine plus tard, au début de juillet 1941, ce gouvernement fut arrêté par les Allemands et ses membres jetés dans des camps. A partir du 15 septembre 1941 les Allemands opérèrent des arrestations dans toute la partie occupée de l'Ukraine, cherchant à décapiter l'Organisation des Nationalistes ukrainiens (OUN).

Plus tard, craignant une insurrection nationale ukrainienne, le Service de Sécurité allemand diffusa, le 25 novembre 1941 dans toute l'Ukraine, l'ordre d'arrêter et d'exécuter quiconque était soupçonné de nationalisme ukrainien. (Ce document a figuré dans l'acte d'accusation au procès de Nuremberg sous le numéro 014-USSR n° 17) (2).

Dès le début de 1942, une vague d'arrestations et de massacres a parcouru toute l'Ukraine. Ceux qui ont échappé aux exécutions ont été expédiés dans des camps, y compris des camps d'extermination. Ainsi les deux frères du leader indépendantiste Stepan Bandera ont péri à Auschwitz Dans ce camp se trouvait un des chefs de l'OUN, Bogdan Kordiouk (3). Un autre leader de l’OUN (4), Oleh Oljytch, a été pendu à Sachsenhausen en 1944 (*). Selon les estimations des historiens, le nombre d'Ukrainiens internés dans les camps de concentration allemands a atteint 400 000. Moins de la moitié ont survécu. Certains parmi ceux-ci sont passés directement des camps hitlériens aux camps staliniens. Même aux Ukrainiens détenus les Allemands déniaient leur nationalité : ceux d'Ukraine occidentale (ex-polonais) portaient comme signe distinctif un " P " (Polonais) et ceux d'Ukraine orientale (soviétique) un " R ", comme pour les détenus russes. Ce n'est qu'à la fin de la guerre et dans certains camps seulement, dont Auschwitz, que les Ukrainiens ont réussi à arracher à l'administration le droit de porter la lettre " U ". C'était la condition pour qu'ils puissent établir des réseaux de solidarité propres, alors que Russes et Polonais ne les admettaient pas dans les leurs. L'absence de signe distinctif spécifique aux Ukrainiens en avait fait une catégorie particulièrement vulnérable parmi les détenus.

A la différence de la méthode appliquée par les nazis dans le reste de l'Europe occupée, les camps allemands n'ont pas été le lieu privilégié d'extermination des Ukrainiens. Ce rôle fut dévolu au passage par les armes. En Ukraine, c'était la Wehrmacht davantage que la Gestapo, qui était chargée des représailles de masse, et l'ordre du 25 novembre 1941 du Service de Sécurité allemand privilégiait l'exécution sur place des indépendantistes, immédiatement après leur arrestation. Cet ordre visait aussi bien les intellectuels qui s'efforçaient de maintenir la culture ukrainienne, que les indépendantistes pris les armes à la main et ceux qui aidaient les maquis. D'innombrables intellectuels, universitaires, écrivains, artistes ou ecclésiastiques ont péri du seul fait d'être des cadres nationaux ukrainiens.

Lors du célèbre massacre de Babyn-Yar en février 1942, outre la liquidation totale du ghetto de Kiev (5), les Allemands ont également exécuté plusieurs milliers d'indépendantistes ukrainiens; parmi eux quelques écrivains, dont les plus connus sont Olena Teliha et Ivan Rohatch.

Contre la guérilla de l'OUN, commencée dès le début de 1942, les Allemands ont eu recours, bien plus largement que contre les maquis d'Europe de l'Ouest, aux représailles massives contre les populations civiles à la façon d' " Oradour " et à l'exécution d'otages. Les pertes proprement militaires de la guérilla et les pertes collatérales ont infligé une énorme saignée dans la population ukrainienne, dont il est difficile de chiffrer l'ampleur.

Une fois les Allemands chassés par l'armée soviétique, les communistes ont continué la chasse aux indépendantistes dont certains maquis ont tenu jusque dans les années 50.

Comme Soljénitsyne le rapporte dans l'Archipel du Goulag, les indépendantistes ukrainiens constituaient, dans ces années-là, le groupe de gens le plus compact des camps staliniens.

Youri POKALTCHOUK (Kyïv)
©2000 -L'Ukraine-L'Est européen-Ukraine Europe

Notes

(*) Ecrivain et journaliste ukrainien de Kyïv.
(1) Il est à noter que les Allemands ont été accueillis comme des libérateurs dans certaines localités, non seulement en Ukraine, mais aussi en Biélorussie et en Russie.
(2) Le numéro du document est 014-USSR-n° 7. Il s'agit d'un ordre du SD de rechercher, d'arrêter et de fusiller sans jugement tous les membres de l'Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) de Bandera. La raison en était la suivante : les Allemands avaient des preuves que l’OUN de Bandera était en train de préparer un soulèvement contre les occupants.
(3) Ont été déportés à Auschwitz de nombreux autres dirigeants de l’OUN de Bandera comme, par exemple, Mykola Klymychyn, Lev Rebet, Omelan Kowal. Ivan Gabroussevytch est décédé dans le camp de Sachsenhausen (1944, Andriï Piassetskyi et Ivan Ravlyk ont été fusillés à Lviv (1942), Ivan Klymiv-Legenda a été torturé à mort dans la prison de Lviv (1942), Dmytro Myron-Orlyk a été tué à Kiev (1942), Mykola Lemyk à Myrhorod (1941), etc.
(4) Il s'agit de l’OUN dirigée par A. Melnyk.
(5) Le massacre de Juifs à Babyn-Yar eut lieu les 29 et 30 septembre 1941.