La famine-génocide de 1932-1933
par
Wolodymyr Kosyk,
Historien, Professeur d'Université,  Docteur en Histoire (Paris I-Sorbonne)
©2000 Wolodymyr Kosyk-L'Ukraine-L'Est européen-Ukraine Europe

 

Une grande tragédie s'est déroulée en Ukraine dans les années 30 : plusieurs millions d'Ukrainiens sont morts à la suite d'une famine sciemment provoquée par le pouvoir communiste russo-soviétique. Les faits essentiels concernant cette famine ont été connus en Occident, par la presse (1) et par des rapports confidentiels de diplomates (2). Mais l'Occident n'est pas intervenu.

Certains journalistes occidentaux à Moscou ou à Kharkiv, comme Walter Duranty, du New York Times, taisaient les faits sur la famine pour ne pas nuire au régime, qu'ils respectaient au admiraient. Duranty n'a mentionné qu'une seule fois dans un de ses articles la " prétendue " famine (The New York Times du 31 mars 1933) pour conclure que " des conditions étaient mauvaises en Ukraine, au Nord du Caucase et sur la Volga inférieure. Le reste du pays connaît un rationnement passager mais rien de pire. Ces conditions sont mauvaises, mais il n'y a pas de famine ".

Différentes forces travaillaient depuis 1932 au rapprochement entre Moscou et les pays occidentaux, notamment avec les Etats-Unis et la France. Il était question que les Etats-Unis reconnaissent l'Union soviétique et que celle-ci soit admise à la Ligue des Nations. Les informations sur la famine auraient pu nuire aux rapprochements qui se dessinaient. Pour ses articles, W. Duranty a reçu trois prix Pulitzer et un Ordre de Lénine. Mais il savait la vérité. Il en a eu la confirmation lors de son voyage en Ukraine et au nord du Caucase en été 1933. Il raconta ensuite à un diplomate britannique à Moscou que l'Ukraine a été "saignée à blanc " et qu'environ " 10 millions de gens sont morts directement ou indirectement par manque de nourriture en Union soviétique " (3).

Arthur Koestler n'envoyait pas non plus d'informations sur la famine. En 1944, dans un de ses ouvrages, il écrivait : " J'ai passé l'hiver de 1932-1933 principalement à Kharkov, alors capitale de l'Ukraine. C'était l'hiver catastrophique qui a suivi la première vague de collectivisation des terres ; les paysans avaient tué leur bétail, brûlé ou caché les récoltes et mouraient de faim et de typhoïde; on estime à environ deux millions le nombre des morts rien qu'en Ukraine " (4). Les paysans mouraient de faim et de typhoïde parce qu'ils avaient tué leur bétail, brûlé ou caché les récoltes ? La propagande communiste le disait effectivement. Sa thèse était : les paysans, notamment ceux qui étaient opposés à la collectivisation, étaient responsables de destructions et de la famine. Certains le croient jusqu'à présent. Par ailleurs, il ne s'agissait pas de la première, mais de la dernière vague de collectivisation. Koestler poursuivait : " Voyager dans la campagne était une tragique aventure; on voyait les paysans mendier le long des gares, les mains et les pieds enflés ; les femmes élevaient jusqu'aux fenêtres des wagons d'affreux bébés à la tête énorme, au ventre gonflé, aux membres décharnés. On pouvait troquer un morceau de pain contre des mouchoirs brodés ukrainiens, contre des costumes nationaux.... les étrangers pouvaient coucher avec à peu près n'importe quelle fille, sauf avec les membres du Parti, pour une paire de souliers ou pour une paire de bas. A Kharkov, les processions funèbres défilaient toute la journée, sous la fenêtre de ma chambre d'hôtel... " (5)

Les célèbres journalistes occidentaux ne percevaient que cette réalité de la terrible tragédie, de l'enfer dantesque. Pourquoi ? Pour des raisons politiques. En 1944, Koestler écrivait timidement : " Aujourd'hui, la catastrophe 1932-1933 est reconnue plus ou moins franchement dans les cercles soviétiques ; mais à l'époque, on ne permettait pas la plus petite allusion au véritable état de choses dans la presse soviétique, journaux ukrainiens compris... L'immense terre était recouverte d'un manteau de silence... " (6) Et le journaliste Koestler avait la conscience tranquille.

Depuis ces événements, plusieurs ouvrages sérieux ont été publiés sur la famine (7). Il y a dix ans, la diaspora ukrainienne a commémoré le cinquantenaire de cette tragédie. Une Commission spéciale d'investigation sur la famine en Ukraine de 1932-1933 du Congrès américain a rendu public son rapport de 524 pages en 1988 (8). En 1990, une Commission internationale d'enquête sur la famine en Ukraine, composée de juristes éminents, a rendu public son rapport établissant la responsabilité du pouvoir de Moscou (9).

Depuis 1988, des historiens ukrainiens en Ukraine peuvent également étudier cette époque tragique. D'après l'historien S. Koultchytskyi, chef d'un département de l'Institut d'histoire de l'Ukraine de l'Académie ukrainienne des sciences, les principales archives relatives à la famine se trouvent à Moscou. L'Ukraine manque donc de données complètes concernant cette tragédie (10). Mais d'après les documents se trouvant en Ukraine, il est certain que les hauts dirigeants du régime étaient parfaitement au courant de tous les faits et des statistiques sur la mortalité.

Un livre-mémorial de 584 pages a été publié en 1991 à Kiev, à l'initiative de l'Association " Mémorial ", dirigée par Volodymyr Maniak (11) (décédé avant la parution du livre). Il contient des récits des rescapés de la famine, des articles, des photos.

La famine a sévi dans les campagnes seulement. Les populations des villes recevaient des approvisionnements presque normalement. Combien de paysans ukrainiens sont morts ?

Personne ne connaît le nombre exact des victimes. Mais on possède des témoignages et des estimations. Ainsi, Harry Lang, un socialiste américain favorable au régime bolchevique, revenu épouvanté d'un séjour en URSS, avait appris d'un haut fonctionnaire soviétique que 6 millions d'Ukrainiens au moins avaient péri du fait de la famine. Un communiste américain désenchanté, Adam J. Tawdul, tint de M. Skrypnyk, alors vice-président du conseil des commissaires du peuple de la RSS d'Ukraine, qu'au moins 8 millions de personnes étaient mortes de faim en Ukraine et au nord du Caucase (notamment dans le Kouban, où les Ukrainiens étaient majoritaires). Balitski, chef du GPU en Ukraine (le KGB de l'époque), envoyé exprès de Moscou pour aider à la mise en ordre du pays, comptait 8 à 9 millions de victimes dans la seule Ukraine. Un ancien haut fonctionnaire du Bureau de la statistique de la RSS d'Ukraine, Mme H. Vilna, estime que les pertes de l'Ukraine s'élevèrent à environ 6,5 millions de personnes (12).

L'ancien ambassadeur américain à Moscou, W. C. Bullit, estime que 3 à 5 millions d'Ukrainiens sont morts à la suite de la famine. L'Encyclopédie ukrainienne parle de 2,5 millions d'Ukrainiens, mais un million de personnes périrent à la suite des répressions dues à la dékoulakisation (extermination des paysans aisés) et 2 à 3 millions furent déportées à la même époque en Sibérie, dans le grand Nord et en Extrême-Orient (13). Plus récemment, le professeur S. Koultchytskyi, qui estimait d'abord qu'il y avait 3,5 millions de victimes, pense aujourd'hui que le chiffre se situe aux environs de 6 millions (14).

Les données démographiques accessibles pour cette période confirment l'importance des pertes. D'après les sources soviétiques, l'Ukraine avait 29 millions d'habitants en 1926 et 32,6 millions d'habitants en janvier 1932, donc environ 32,7 millions au début de la famine. Mais au début de 1933, d'après les calculs effectués sur les données soviétiques, la population de la RSS d'Ukraine était de 31,9 millions d'habitants. A la fin de 1933, elle était sans doute descendue à environ 30 millions, et en 1934 il ne devait y avoir qu'environ 29,1 millions d'habitants. Or d'après le recensement du 17 janvier 1939, l'Ukraine avait alors 31,8 milions d'habitants seulement (au lieu de quelque 38-39 millions ou plus, si l'on ajoute le nombre d'émigrés russes). Les années 1935-1938 ont servi à combler partiellement le déficit par l'accroissement naturel et l'immigration assez importante de Russes (2 à 3 millions).

Les calculs sur les données accessibles donnent les résultats suivants :

Morts de faim en 1932

1.504.600

Morts de faim en 1933

3.317.000

Total en un an et demi

4.821.600

Morts en 1934

environ 500.000

Total des morts

5.321.000

Le " trou " démographique, selon les calculs que nous avons effectués dans les années 1963-1983, s'élève donc à environ 9 millions, soit 5 à 6 millions de morts à la suite de la famine, près de 1 million d'exécutés et environ 2 millions de déportés (15).

Ce " trou " énorme est confirmé également par l'analyse de l'évolution de la population rurale ukrainienne. Mais nous apprenons actuellement qu'un recensement de la population avait été effectué le 6 janvier 1937 et que ce recensement avait démontré que l'Ukraine avait à cette époque 28.388.000 habitants seulement ! Rendu furieux par ce chiffre catastrophique, Staline avait imposé le secret total sur ce recensement et ordonné un autre recensement, qui eut lieu en janvier 1939 et qui était supposé corriger le " trou ".

Certains auteurs soviétiques (par exemple, A. I. Gouzoulov, M. G. Gregoriantz) et occidentaux (par exemple, Frank Lorimer) expliquent cet énorme déficit démographique par le passage de ces Ukrainiens à la nationalité russe. Il est sans doute vrai qu'un certain nombre d'Ukrainiens ont abandonné, entre 1926 et 1939, la nationalité ukrainienne pour adopter la nationalité russe, qui procurait plus de sécurité. Mais leur nombre n'a certainement pas excédé un million. Par ailleurs, si, par exemple, 5 millions d'Ukrainiens étaient passés à la nationalité russe, on devrait les retrouver dans le nombre de Russes.

Or le nombre de Russes ne s'est accru que de 21,2 millions (selon d'autres sources 21,8 millions). Il s'agit là d'une augmentation due principalement à l'accroissement naturel (environ 20 millions), le surplus ne représentant qu'environ 1 à 1,5 million de personnes. En outre, en admettant qu'environ 1 à 1,5 million de personnes se soient déclarées Russes entre 1926 et 1939, ce chiffre ne représente pas les seuls Ukrainiens, car d'autres nationalités (Biélorussiens, Polonais, Juifs, etc.) ont également opté pour la nationalité russe.

Il sera intéressant d'ailleurs d'étudier le tableau concernant l'évolution du nombre des Russes, des Ukrainiens et des Biélorussiens entre 1926 et 1939, selon la statistique officielle, que l'on trouve dans le rapport de la Commission internationale sur la famine (16)

 

 

RECENSEMENTS

RECENSEMENTS

ACCROISSEMENT

ACCROISSEMENT

Population en millions

1926

1939

1926

1939

URSS

147.028

170.557

+ 23.529

+ 16,0 %

Russes

77.791

99.591

+ 21.800

+ 28,0 %

Biélorussiens

4.739

5.275

+ 536

+ 11,2 %

Ukrainiens

31.195

28.111

- 3.094

- 9,9 %

 

Le déficit démographique des Ukrainiens dans toute l'Union soviétique (donc en Ukraine et dans les autres Républiques) à la date du 17 janvier 1939 (par rapport à 1926) ne s'explique que par les pertes dues, d'une part, à la famine en Ukraine et, d'autre part, aux exécutions, à la mortalité dans les camps de concentration et aux exécutions des Ukrainiens en général, ainsi qu'à la chute de l'accroissement naturel.

L'extermination des Ukrainiens dans les années 1930 avait donc pris l'ampleur d'un véritable génocide. C'est l'avis de nombreux spécialistes et historiens. Les responsables ? Bien sûr, le principal responsable était Staline. Mais il n'aurait pas pu réussir sans l'aide directe de ses compagnons fidèles et sans scrupules : L. Kaganovitch, V. Molotov, 0. Chlikhter, H. Petrovski, S. Kossior, V. Tchoubar. En juillet 1932, L. Kaganovitch et V. Molotov sont venus spécialement prendre part à la 3e conférence du PC d'Ukraine à Kharkiv, pour superviser les dispositions prises (1~).

Contrairement à l'idée généralement admise, ce n p est pas la situation économique, plus exactement la collectivisation, qui a provoqué la famine de 1932-1933. En effet, une étude attentive de l'ensemble des données précédent la famine conduit à la conclusion que c'est la situation internationale de la Russie soviétique (et de l'URSS en général) qui a poussé le pouvoir de Moscou à enclencher le terrible processus.

Dans les années 1922-1927, l'économie de l'URSS dépendait presque entièrement de l'étranger. Moscou était obligée d'importer les machines-outils, les outillages, et toute sorte d'équipement industriel, des produits chimiques et des textiles qu'elle faisait venir d'Allemagne, des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, de Suède, de France, de Tchéco-Slovaquie. Ces produits constituaient près de 74 % (près de 21 % en ce qui concerne les machines et l'équipement industriel) de toutes les importations en 1925-1926 (18). L'URSS avait en outre besoin de capitaux étrangers. Or une très grave crise dans les relations entre la Russie soviétique et la Grande-Bretagne survint en avril-mai 1927, qui aboutit à la rupture des relations diplomatiques, commerciales et financières entre Londres et Moscou (27.5.1927).

Moscou interpréta la crise comme une démonstration que les pays capitalistes voulaient étouffer économiquement et financièrement le pays des Soviets, et qu , ils préparaient une intervention dans le but de détacher l'Ukraine et quelques autres pays périphériques de l'empire, pour affaiblir de cette manière l'Etat soviétique (19).

En août 1927, le comité central du PC russe déclare qu'en préparant une guerre contre l'URSS, le gouvernement anglais " est en train de mener partout une lutte diplomatique contre l'URSS, d'organiser le blocus dans le domaine de l'économie et des crédits, et de soutenir les groupements contre-révolutionaires du Caucase, notamment en Géorgie, ainsi qu'en Ukraine " (20).

Moscou avait peur de perdre surtout l'Ukraine, dont la part dans l'économie de l'empire à l'époque était énorme : 80 % de la production de charbon, 85 % de minerai de fer, 70 % de métaux, 82 % de sucre, 28 % de la production céréalière, etc. Aucun plan de développement ne pouvait réussir sans l'Ukraine. Moscou ne pouvait donc pas permettre à ce pays de se détacher par lui-même ou d'être détacher par une intervention de l'extérieur, avant d'avoir réussi le développement économique d'autres régions de l'empire.

Il fallait donc impérativement maintenir l'Ukraine au sein de l'URSS aussi longtemps que possible, et pour cela la " pacifier ", lui briser l'échine, pour éloigner le moment de son détachement éventuel, d'une part, et autant que possible profiter de ses richesses pour construire une autre base économique semblable à l'Ukraine, loin de la périphérie, à l'intérieur de l'empire, d'autre part. Ce faisant, le but principal était de diminuer la dépendance économique de l'URSS de l'extérieur et d'augmenter sa puissance économique et militaire.

En décembre 1927, le PC des bolcheviks russes, rebaptisé deux ans auparavant en PC de l'Union, prit la décision, lors de son XVe congrès, d'adopter le premier plan quinquennal en vue de développer " des industries-clés pouvant augmenter, dans le plus bref délai, la puissance économique et la capacité de défense de l'URSS, garantir les possibilités de développement en cas de blocus économique, diminuer la dépendance par rapport au monde capitaliste " (21).

Moscou décida concrètement de développer une deuxième base économique semblable à celle de l'Ukraine, mais située loin de la frontière, dans le bassin d'Oural-Kouznetsk. Ce plan ambitieux devait être réalisé ou moyen de l'industrialisation et de la collectivisation forcée.

Pour réaliser ce plan il fallait beaucoup d'argent et une nombreuse main-d'oeuvre. Le pouvoir trouva la solution : obtenir la main-d'oeuvre abondante et bon marché par des répressions politiques, c'est-à-dire par l'augmentation du nombre des détenus dans le Goulag et des déportés. Avec la réalisation du plan quinquennal augmente constamment le nombre de détenus dans les camps de concentration : 200.000 en 1927, 2.500.000 en 1930, 4.500.000 en 1933. En outre, des millions d'autres personnes sont déportées dans les régions éloignées du Nord et de la Sibérie.

Certes, le plan concernait toute l'Union soviétique. La collectivisation provoqua la désorganisation de l'économie rurale presque partout, et la disette apparut dans certaines régions du sud de la Biélorussie, sur la Volga, au nord du Caucase et au Kazakhstan. Mais le processus prit des aspects particuliers en Ukraine pour les raisons évoquées. Dès 1927, le " déviationnisme nationaliste " fut proclamé ennemi principal en Ukraine. Moscou décida de renforcer son emprise sur ce pays. La pression s'exerça dans deux directions : sur les intellectuels et Selon les données officielles, Moscou exporta les céréales dans les quantités suivantes : 3 millions de tonnes en 1931, 1,7 million de tonnes en 1932 et autant en 1933. Le blé était vendu au prix de moins de 2 kopecks le kilo. En 1933, les produits alimentaires constituaient 20 % des exportations de l'URSS. Moscou a exporté : 31.500 tonnes de farine, 7.90J tonnes de viande, 37.200 tonnes de beurre, 29.000 tonnes de poissons, 38.400 tonnes de sucre, 49,3 millions de boîtes de conserves de poissons (22).

Le premier plan quinquennal fut achevé plus tôt que prévu. Moscou triomphait. En janvier 1933, Staline déclara que " la réalisation victorieuse du plan quinquennal a eu ce résultat que nous avons, dès à présent, élevé la capacité de défense du pays à la hauteur voulue " (23). Et au sujet de la deuxième base économique : " Nous ne possédions qu'une seule base houillère et niétallurgique - celle de l'Ukraine - (maintenant)... nous avons créé une nouvelle base houillère et métallurgique dans l'Est, qui fait l'orgueil de notre pays... " (24)

Les raisons politiques dans l'organisation de la famine n'ont pas échappé aux observateurs étrangers de l'époque. Le consul d'Italie à Kharkiv écrivait, par exemple, dans son rapport du 25 mai 1933 intitulé " La famine et la question ukrainienne ", que la famine avait été provoquée pour " donner une leçon aux paysans " et, selon la déclaration d'un haut fonctionnaire du GPU, amener une modification du " matériel ethnique " en Ukraine, car de celui qui s'y trouvait on ne pouvait pas faire de bons communistes.

Il voyait en fait trois raisons à la politique appliquée en Ukraine :

  1. la résistance passive des paysans à la collectivisation ;
  2. la conviction que le " matériel ethnique " existant était inapte à devenir de bons communistes ;
  3. 3. l'opinion plus ou moins avouée qu'il fallait dénationaliser " ces régions, qui pourraient représenter des difficultés politiques à l'avenir ", et qu'il était préférable pour l'unité de l'empire que dans ces régions la population soit composée en majorité de Russes. Le pouvoir, selon le consul italien, voulait " liquider le problème ukrainien au bout de quelques mois,, en sacrifiant 10 ou 15 millions d'âmes " (25).

La question des responsabilités est apparue naturellement dès la libéralisation du régime soviétique. Le journal Ogoniok de Moscou écrivait en mars 1988 : " Des millions de malheureux, de faméliques mouraient sans rien dire... Pour la tragédie 1933, la responsabilité devant l'histoire porte Staline et les autres membres du Politbureau qui l'ont soutenu " (26). Or l'un des principaux responsables de ce génocide, Lazar M. Kaganovitch, coulait paisiblement des jours heureux à Moscou. Selon certains, il était probablement le principal responsable après Staline de la famine. En Ukraine, la question des poursuites contre lui fut posée. Le KGB et la justice furent interpellés. Sans résultats*.

L'Union soviétique n'existe plus. On peut s'interroger pour savoir si la responsabilité concernant les crimes du régime soviétique doit disparaître avec la disparition de l'URSS. Notamment concernant les crimes pouvant être qualifiés de crimes contre l'humanité, qui ont été commis au nom de la puissance de l'Etat sur le plan international et d'une idéologie utopique d'un parti de gauche, au service d'un centre impérial traditionnel.

Wolodymyr KOSYK
Historien, Professeur d'Université,  Docteur en Histoire (Paris I-Sorbonne)
©1998 Wolodymyr Kosyk-L'Ukraine-L'Est européen-Ukraine Europe

Notes

(1) Des journaux de l'époque ont parlé de la famine, notamment Le Temps (août, septembre 1933), Le Matin (septembre, octobre, novembre 1933), L'Ordre (septembre, octobre 1933), Journal des Débats, Journal de Genève (août 1933), The Manchester Guardian (septembre 1933), La Wallonie (novembre 1933), Jewish Daily Forward (1933), Chicago American (février, mars 1935), Chicago Herald and Examiner (mars 1935), etc.
(2) Cf. The Foreign Office and the Famine, British Documents on Ukraine and the Great Famine of 1932-1933, Edited by Marco Carynnyk, Lubomyr Y. Luciuk and Bogdan S. Kordan, with a Foreword by Michael R. Marrus, Ontario-New York, 1988. Les documents italiens ont été publiés dans Report to Congress, Commission on the Ukraine Famine, Appendix II, Italian Diplomatic and Consular Dispatches, Washington, 1988. Der ukrainische Hunger-Holokost, Aus den Bestanden des Politischen Archivs im Auswartigen Amt, Bonn, Herausgegeben von D. Zlepko, Sonnebühl, 1988.
(3) The Foreign Office and the Famine op. cit., p. 309-313.
(4) Arthur Koestler, Le Yogi et le commissaire, Paris, 1946, p. 200.
(5) Ibid., p. 200-201.
(6) Ibid., p. 201-202.
(7) Borys Martchenko, Olexa Woropay, La famine-génocide en Ukraine 1932-1933, préface de Guillaume Malaurie, Paris, 1983; Vassili Grossman, Tout passe, Paris, 1972;Vassil Barka, Le Prince jaune, préface de Piotr Ravitch (cette préface comporte de nombreuses erreurs concernant le mouvement national ukrainien), Paris, 1981 ; Miron Dolot, Les Affamés, L'holocauste masqué, Ukraine, 1929-1933, Paris, 1987; The Agony of a Nation, foreword of Malcolm Muggeridge, London, 1983; Robert Conquest, La Grande Terreur, Paris, 1970, etc. (Voir la bibliographie sélective)
(8) Report to Congress, Commission on the Ukraine Famine, Washington, 1988.
(9) The Final Report, International Commission of Inquiry into the 1932-1933 Famine in Ukraine, 1990, Documentation Office : 555 Burnhamthorpe Road, Penthouse A. Toronto, Ont. M9C 2Y3, Canada; président de la Commission Prof. Jacob W.F. Sundberg, Stockholm, Suède.
(10) Radianska Oukraïna, Kiev, 11, septembre 1990.
(11) Holod 33, Narodna Knyha-Memorial, (Famine 1933, Livre-Mémorial national), Kiev, 1991.
(12) Revue ukrainienne, t. 1, vol. 1, Munich, 1959, p. 19.
(13) Encyclopédie ukrainienne, t. I, vol. 1, Munich, 1948, p. 152-153.
(14) Radianska Oukraïna, op. cit.
(15) Pour les sources voir B. Martchenko et 0. Woropay, La famine-génocide en Ukraine 1932-1933, op. cit., p. 58-61.
(16) The Final Report, op. cit., p. 2.
(17) S. Koultchytskyi, 1933 : " La tragédie de la famine ", in Literatourna Oukraïna, Kiev, N° 3, 19 janvier 1989.
(18) Cf. Vniéchnaya torgovlia SSSR 1918-1966, Moscou, 1967,
(19) Cf. Les Izvestia du 10 avril 1927; voir aussi L'Ukraine et le monde extérieur (en ukrainien), Kiev, 1970, p. 212.
(20) Cité d'après L'Ukraine et le monde extérieur, op. cit., p. 217-218.
(21) Istoria SSSR, vol. 8, Moscou, 1967, p. 459.
(22) Vniéchnaya torgovlia SSSR, op. cit., p. 20-23.
(23) J. Staline, Les questions du léninisme, Paris, 1953, p. 87
(24) Ibid., p. 84.
(25) Report to Congress, op. cit., p. 424.
(26) Ogoniok, n° 12, Moscou, mars 1988.
* Voir à ce sujet le témoignage du journaliste Anatoliy Chtcherbatiouk, " Les responsables ", L’Est européen, N° 29 janvier-mars 1993 et " Lettre ouverte à L. M. Kaganovitch ", L’Est européen, N° 29 janvier-mars 1993.

 

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Carte de la famine

Morte de faim

 

 

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Mort de faim Mort de faim

 

 

 

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La couverture du livre-mémorial