L ‘hetman Pylyp Orlyk et son gouvernement en exil en Suède
par
Bertil Haggman

 

Le 5 avril 1710, Pylyp Orlyk succéda à l'hetman Ivan Mazepa. Orlyk avait été le Chancelier de Mazepa. Lui, sa famille et les officiels avaient suivi le roi Charles XII, Ivan Mazepa et les restes des armées suédoise et ukrainienne jusque dans l'Empire ottoman (aujourd'hui la Moldova).

Quand Charles XII et son état-major retournèrent en Suède, Orlyk les suivit avec un certain nombre d'Ukrainiens en 1714. La première longue étape les mena en Poméranie suédoise (partie de l'actuel land fédéral de Mecklenburg-Vorpommern). Quand les troupes suédoises évacuèrent la Poméranie et la ville de Stralsund en 1716, Orlyk se dirigea avec son groupe à travers la mer Baltique vers la ville suédoise méridionale de Ystad, dans la province de Scanie.

En Scanie, Orlyk, sa femme Anna, née Hertsy, et ses sept enfants vécurent de 1716 à 1719 à Kristianstad (Scanie du nord-est)(1), une importante ville de garnison de cette province qui avait été conquise depuis peu sur le Danemark. A la suite des énormes problèmes financiers de la Suède après le désastre de Poltava en 1709, la famille Orlyk fut obligée de vivre dans de pauvres conditions à Kristianstad. Quand l'hetman se déplaça de 600 kilomètres au nord vers Stockholm, l'importante dette de Pylyp Orlyk était de 4.000 thalers (la monnaie suédoise de cette époque, aujourd'hui remplacée par la couronne).

Le plus âgé de ses fils, Grigoriy (ou Grigorius, Hryhoriy en ukrainien), étudia à l'Université de Lund sous la direction du professeur Andreas Rydelius, titulaire de la chaire de métaphysique.

Après un court séjour, Pylyp Orlyk quitta la Suède en 1720 pour ne plus jamais y retourner. Son protecteur, le roi Charles XII était mort au combat en 1718. Le 25 juin de cette année, le Parlement suédois décida de lui accorder 20.000 thalers (ou 10.000 écus français). C'était le résultat d'une convention entre la Suède et l'Ukraine. Charles XII avait emprunté 60.000 thalers au Trésor ukrainien en 1708. Avec le paiement de 20.000 thalers, la dette suédoise avait diminuée. Le 2 septembre 1720, Pylyp Orlyk reçut un passeport au nom du "colonel polonais Epereyeschy"(2) Son fils fut pourvu d'un passeport au nom du "sous-lieutenant Carolus a Canneberg". Des lettres de recommandation du gouvernement suédois aux chefs d'Etat étrangers suivants furent remises à l'hetman : le sultan de Turquie, le grand vizir, le khan tatar (avec lequel la Suède entretenait depuis longtemps d'excellentes relations), l’Armée cosaque, le roi de Pologne et électeur de Saxe Auguste, le roi Georges Ier d’Angleterre et l'empereur Charles VI. L'ambassadeur suédois au Congrès de Braunschweig avait reçu des consignes gouvernementales pour aider Orlyk comme celui-ci le souhaiterait.

Le même jour, l'amiral suédois Sparre, commandant la marine de guerre suédoise, avait reçu l'ordre d'armer un navire et de le mettre à la disposition d'Orlyk et de son fils. En octobre 1720, l'hetman opta pour Lübeck en Allemagne du nord. Là, on pourrait penser que les derniers liens avec Orlyk, sa famille et ses suivants en Suède s'achèveraient, mais il n'en fut rien.

 

Une pension pour sa veuve

Le 6 octobre 1743, l'ambassadeur de France à Stockholm, le Marquis de Lanmary, s'occupait d'affaires ukrainiennes dans la capitale suédoise. Se promenant dans les rues de Stockholm, il reçut un mémoire en français du Comte Grigoriy Orlyk pour le chef de la Chancellerie suédoise, le Comte Gyllenborg. Le message fut lu le jour même au Grand Conseil. Le Comte Orlyk demandait au gouvernement suédois de pensionner sa mère Anne (Pylyp Orlyk était mort en 1742) et deux de ses soeurs résidant à Stockholm. Le Parlement se réunissait tous les trois ans et avait été dissous en septembre de cette année. Aussi, Anna Orlyk dut attendre jusqu'en 1746 pour obenir une réponse. En mai 1746, le Parlement décida d'attribuer une pension de 400 thalers par an aux trois Orlyk. Dans une lettre, le Comte exprima sa gratitude envers la Suède pour la pension attribuée à sa mère et à ses soeurs.

 

La femme du général

Une des soeurs de Grigoriy n'avait pas sollicité de pension. En 1723, Anastasya Orlyk se mariait avec le général suédois aventurier Johan Stenflytch, né en 1681. Anastasya était plus jeune de dix ans. Le général Stenflytch avait mené sa propre carrière jusqu'au grade de lieutenant-général. En 1707, il servit dans les troupes du prince Rakoczy en Hongrie. Six ans plus tard, il était commissionné comme lieutenant-colonel de l'armée polonaise. Colonel en 1715 dans un régiment polonais, il fut fait chevalier en 1716. Quittant le service de son pays en 1719, il fut commissionné major-général dans l'armée de Holstein-Gottorp. En 1728, Anastasya meurt. Après plus d'une décennie au service de l'Allemagne, le général Stenflytch rejoignit une fois de plus l'armée polonaise avec le grade de lieutenant-général cette fois-ci. En 1738, on le trouve au service de la France. Son dernier poste fut un commandement à Hambourg en Allemagne. En 1742, il se retira en Suède, à Nöbbele dans le sud du pays, où il mourut en 1758.

Johan et Anastasya Stenflytch eurent deux enfants. L'aîné, Carl Gustav, naquit en 1724. Il servit comme capitaine dans le même régiment français " Royal Pologne " et mourut célibataire, la même année que son père. Le second fils, Filip, né en 1726, mourut jeune.

L'hetman Pylyp Orlyk et sa femme Anna eurent huit enfants. Un des enfants, Katarina, née à Kristianstad en 1718, mourut très jeune. Un fils, Jakob, et une fille, Martha, naquirent à Bender dans l'Empire ottoman. Le parrain de Jakob fut le roi Charles XII, et celui de Martha, le roi de Pologne Stanislas Ier Leszcynski. Maryna naquit en 1715 sur l'île de Rugen en Poméranie suédoise lorsque sa famille faisait route vers la Suède. Sa marraine fut la princesse Ulrika Eléonora, représentée par la femme du feld-maréchal comte Rehnskiöld. Une autre fille, Barbara, naquit à Baturin en 1707, comme le troisième fils Michael en 1704.

 

Le gouvernement d'Orlyk en exil

Lorsque Orlyk vint en Suède, il fut suivi par un certain nombre de dignitaires ukrainiens cherchant à échapper à la vindicte du tsar Pierre Ier. Le colonel Andrei Voïnarovskyi, neveu de l'hetman Ivan Mazepa, avait envoyé sa femme, Anna Voïnarovska, par avance en Suède. Elle reçut quatre tonneaux d'or, une propriété à Tynnelsö à l'extérieur de Stockholm et une maison au centre de la ville du gouvernement suédois en reconnaissance de la coopération de son mari avec le roi Charles XII. En 1740, elle quitta la Suède car son mari n'atteignit jamais ce pays. Sur le chemin de Stockholm, il fut enlevé par des agents du tsar Pierre Ier et emmené à Saint-Pétersbourg. Il passa sept dures années dans les prisons russes. Le gouvernement suédois fit vainement plusieurs tentatives pour le libérer. Il fut finalement exilé à Yakoutsk en Sibérie où il mourut vers 1742.

Grigoriy Hertsyk, beau-frère d'Orlyk, vécut en Suède de 1716 à 1720. Il quitta ce pays pour la Pologne via Copenhague afin d'y chercher asile en 1720. Avec lui, deux autres dignitaires du gouvernement d'Orlyk qui l'avaient aussi suivi en Suède l'accompagnaient. Fédor Natchimovskiy, qui avait été " bulavnik " (gardien du sceptre), le quitta pour la Crimée et les Cosaques Zaporogues. Fédor Myrovitch (qui fut le général aide de camp de l'hetman) voyagea avec Natchimovskiy. Un autre haut dignitaire, le juge général Kliment Dolhopolyi mourut à Stockholm en 1719. Le frère de Grigoriy Hertsyk était " ossaoul " (vice-hetman). Son destin n'a pu être retracé. Son frère Grigoriy eut la même destinée que le neveu de Mazepa. Il manqua de prudence et subit la vengeance du tsar Pierre Ier à Hambourg. Des agents russes l'enlevèrent et l'emmenèrent à Saint-Pétersbourg où il fut interrogé sous la torture. Relâché en 1728, il fut autorisé à s'installer à Moscou, en résidence surveillée. En 1735, il devint enfin libre.

Tous les dignitaires de l'hetman Pylyp Orlyk qui séjournèrent en Suède reçurent chaque année, selon leur rang, des allocations allant de 200 à 672 thalers.

Bertil HAGGMAN (Helsingborg)
1992

Notes

(1) L'hetman Pylyp Orlyk n'était pas le seul chef d'Etat à qui on avait offert des facilités lors de l'exil. De 1711 à 1714, le roi de Pologne Stanislas Leszcynski, allié de Charles XII, et sa Cour (plus de 100 personnes) y résidèrent. Le roi quitta personnellement Kristianstad, laissant derrière lui sa femme, ses enfants et le personnel de la Cour. Ils le rejoignirent en Allemagne en 1714. La plus jeune fille du roi Stanislas, Maria, se maria avec le roi de France Louis XV en 1725. Stanislas gouverna la Lorraine qu'il reçut en 1738. Maria n'oublia jamais le suédois qu'elle avait appris à parler à Kristianstad et on dit qu'elle parlait toujours cette langue avec les invités de son "autre patrie". La maison que le gouvernement avait réquisitionnée pour les Polonais est toujours debout à Kristianstad.
(2) De grandes précautions avaient été prises pour cacher la véritable identité des Ukrainiens. Le tsar Pierre Ier avait juré d'infliger une terrible vengeance aux "traîtres" ukrainiens qui avaient rejoint le roi Charles XII pour combattre pour la libération de l'Ukraine.

Bibliographie

Th. Westrin, Nagra upplysningar om kosackhetmanen Filip Orlyk in Historisk Tidskrift, 1905, p. 35-40.
A. Jensen, Orlik v Sveciy in Mitteillungen der SevcenkoGesellschaft in Lemberg, 1909 (imprimé en 1910), Vol. 92, p. 93.169.
A. Jensen, Mazepa, Lund, 1909.
Karolinska Fôrbundets Arsbok, 1914, p. 193-207.