Le KGB et la destruction de I’Église gréco-catholique ukrainienne en 1946
par
Ivan Bilas

 

Depuis la fin de l’URSS, les archives de l'ancien Empire soviétique deviennent accessibles aux chercheurs. Parmi ces derniers, M. Ivan Bilas, tente d'apporter des précisions sur les dessous de la liquidation de l'Eglise gréco-catholique ukrainienne en 1946.

C'est seulement maintenant que l'on peut étudier objectivement les raisons qui ont contraint l'Eglise catholique ukrainienne à entrer dans la clandestinité il y a cinquante ans, cela, grâce à une autorisation récente et limitée de consulter les archives du KGB à Moscou. Ces documents donnent une image tragique du projet de destruction de l'Eglise catholique ukrainienne, qui débuta sous Staline et qui s'est poursuivie jusqu'à ce que l'Ukraine acquière son indépendance.

En 1989, l'hebdomadaire Argumenty i Fakty a écrit que jusqu'à une date récente, on croyait que les nombreux documents qui relatent cette affaire tragique, avaient été détruits. Dans un autre article, ce même périodique dévoile comment le Père Oleksander Menya fut assassiné, après que l'on ait découvert qu'il était en possession de documents qui montraient l'ampleur de la manipulation de l'Eglise par le KGB.

Une partie des faits demeure cachée encore aujourd'hui. Car l'ancien régime communiste de l'empire russe ne tient pas à dévoiler le plan de destruction de l'Eglise catholique ukrainienne, d'autant plus qu'elle ne s'est pas laissée intimider par le régime totalitaire et a toujours soutenu les intérêts de la nation ukrainienne, contrairement aux prêtres de l'Eglise orthodoxe russe qui ont rejoint les intérêts de l'empire et de sa survie.

Une analyse des documents classés dans ces archives évoque l'image des sombres couloirs des bâtiments de Staline et Béria où fut préparé le repas empoisonné.

Un des secrets de Staline est qu'après avoir créé un vide religieux, il sut unir les quêtes ataviques et spirituelles des individus. Un autre moyen a consisté à inculquer au peuple le concept d'un souverain de type mythologique, qui aurait les attributs d'un dieu et un pouvoir illimité. En faisant l'analyse de cette période, on s'aperçoit que la société peut se guérir des effets négatifs de ce processus et de cette manipulation.

Dans la Russie tsariste, l'Eglise et la monarchie avaient des rapports très étroits, bien qu’empreints de la tolérance et du mépris.

Avec la Révolution d'octobre 1917, une nouvelle ère de confrontation a débuté entre l'Eglise et le pouvoir, bien qu'une loi ait proclamé la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Néanmoins, les révolutions libèrent une lame de fond de force agressive et d'action. Une des institutions les plus intimement liées au régime tsariste était l'Eglise orthodoxe russe, qui eut donc beaucoup à souffrir du contrecoup négatif. Le décret sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat entraîna des protestations illicites de la part d'activistes religieux qui trouvaient ce décret discriminatoire, particulièrement sur le fait que l'Etat accaparait les biens et les trésors de l'Eglise.

L'Eglise estimait que ses biens appartenaient à la société; néanmoins, la façon dont elle dut s'en séparer entraîna des révoltes, des protestations et des luttes sanglantes. Eglises, monastères et écoles religieuses furent fermés, les publications religieuses cessèrent, ainsi que l'impression de la Bible. Les monuments et les édifices de l'Eglise furent démolis, et les livres religieux et les icônes brûlés. Une propagande antireligieuse fut répandue et des extrémistes athées mirent en scène des démonstrations dans lesquelles ils s'habillaient de façon à ridiculiser le clergé.

Lors des révolutions, après que l'ancien régime ait été détruit et lorsque l’ordre public est absent, il y a danger que ceux qui cherchent à s'emparer du pouvoir tirent profit d'une telle période. C'est ce qui arriva avec le machiavélisme de Staline, qui essaya d'établir une dictature absolue en éliminant les obstacles et les personnes qui barraient sa route. Il tenait en main tous les secteurs de la vie : l'éducation, la culture, les arts et même la religion. Mais cela ne suffisait pas. Staline pensait qu'il ne devait y avoir qu'un seul dieu - celui qui était au Kremlin, et que l'idéologie dominante devait être la foi qu'il inspirait, dépassant le marxisme. Il gagna ses dernières batailles quand la Constitution fut changée afin d'interdire la propagande religieuse et le symbole physique de sa victoire fut la destruction de nombreuses églises célèbres.

Staline avait décidé que ce vide religieux qu'il avait créé était suffisant. Mais la création d'une nouvelle religion était à l'horizon quand Staline, qui se proclamait le " père de la nation ", s'éleva encore plus haut sur le mont Olympe, vers un absolutisme que même l'empereur Auguste n'avait jamais imaginé.

La Seconde Guerre mondiale changea la position de l'Eglise orthodoxe russe du tout au tout. Ce changement a de nombreuses causes. Les armées d'occupation de l'Allemagne nazie n'étaient pas opposées à la réouverture des églises, ce que le peuple accepta favorablement et qui obligea Staline à continuer par la suite, uniquement dans un but de propagande politique. Il décida de tirer profit de cette renaissance religieuse et de l'utiliser avec l'aide de la patriarchie fantoche de Moscou.

Constatant qu'il était un empereur sans couronne, Staline décida qu'il serait avantageux pour lui de recevoir la bénédiction de cette même Eglise, qui avait sanctifié le régime tsariste russe depuis le XVIe siècle. De sorte que l'Eglise, qui allait être complètement détruite, reçut tout à coup une totale approbation. Mais comment Staline s'y prit-il pour obtenir que les dirigeants de l'Eglise orthodoxe russe viennent " manger dans le creux de sa main " ?

Cela commença le plus simplement du monde lors d'une conversation fortuite le 4 septembre 1943. Quand la façon dont se terminerait la guerre devint évidente, Staline fit venir à sa datcha l'officier du KGB responsable de la religion, pour se renseigner sur l'Eglise orthodoxe russe. L. Béria et Malenkov, responsables de l'idéologie, étaient aussi présents. Karpov était très au courant de ce secteur et il donna un grand nombre d'informations, allant de l'état de santé des métropolites jusqu'au nombre des croyants, en passant par les rapports avec les Eglises orthodoxes de Roumanie, de Bulgarie, etc. Après avoir obtenu toutes les réponses à ses questions, Staline voulut en savoir davantage.

Il décida alors qu'il était nécessaire de créer une structure séparée au niveau gouvernemental, qui servirait de liaison entre les autorités et l'Eglise orthodoxe russe, enclenchant ainsi un plus grand contrôle des activités de l'Eglise. Staline déclara alors à Béria, Malenkov et Karpov qu'il voulait rencontrer immédiatement les métropolites Serge, Alexis et Michel. Karpov appela le métropolite Serge et lui dit que le but de la réunion était de discuter des besoins de l'Eglise.

Les métropolites arrivèrent au Kremlin le jour même, et ils furent très surpris du traitement hospitalier et accommodant qu'ils reçurent de la part du " père de la nation ". Staline remercia les métropolites pour la participation patriotique de l'Eglise à l'effort de guerre. Ils ne pouvaient pas savoir où les entraînerait la foi qu'ils mettaient dans cette tromperie et les graves conséquences qu'elle aurait pour des millions de fidèles de l'Eglise orthodoxe russe, ainsi que pour les autres dénominations religieuses.

Pour prouver sa gratitude, Staline demanda aux métropolites s'il pouvait aider l'Eglise. Le métropolite Serge, représentant du patriarcat, répondit que le principal problème était le manque d'une autorité centralisée, particulièrement parce qu'aucun synode n'avait été autorisé depuis 1935. Il demanda la permission de convoquer un sobor (réunion des membres de la hiérarchie) pour permettre de choisir un patriarche. Le métropolite de Léningrad, Alexis, et l'exarque d'Ukraine et métropolite de Kiev, Michel, approuvèrent la proposition de former un synode. Les métropolites déclarèrent que ce serait un synode canonique. Mais comment pouvait-on considérer qu'un synode organisé à l'intérieur des murs du Kremlin, sous la direction vigilante du pire tyran de l'histoire, pouvait avoir la moindre légitimité ? En fait, l'issue du synode fut décidée par Staline - le métropolite Serge serait nommé patriarche. Ainsi fut fait. Le scénario de la pièce appelée " synode canonique ", fut écrit par le " tout puissant " Staline, avec comme acteurs secondaires, des membres du KGB. Pour compléter le spectacle, le patriarcat aurait un titre approprié - celui de patriarche de Moscou et de toute la Russie*. Les valets de Staline qui tenaient un rôle avaient même aidé à rassembler, en un temps record, tous les dirigeants de l'Eglise orthodoxe russe en leur fournissant un transport par avion; ce qui permit de fixer la date dès le 8 septembre 1943.

Le marché avec Satan était presque complet. L'Eglise orthodoxe russe devint le fantoche de Staline, et un appareil du gouvernement en recevant un statut privilégié. A la suite d'autres demandes d'assistance, elle reçut des promesses de réouverture de séminaires, l'autorisation d'éditer des publications religieuses et de réouvrir plusieurs églises. Une demande fut faite également d'une aide financière, qui entrerait directement dans les caisses de l'Eglise pour les activités du patriarcat et le synode. Cela aussi fut accordé, de même que l'autorisation de relancer des entreprises religieuses autonomes, telles que la fabrication de cierges, etc. Quand les métropolites eurent une confiance encore plus grande dans Staline, ils osèrent demander la libération de prêtres emprisonnés ou en camps de concentration.

Staline assura les métropolites que tous les besoins de l’Eglise seraient satisfaits et que l'Eglise pouvait compter sur le soutien du gouvernement pour qu'elle se développe dans toute l'Union soviétique. Bien que cette nouvelle direction soit en violation avec les anciennes lois sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat et de l'Eglise avec les écoles, elle s'accordait avec la situation sociopolitique spécifique du moment, et elle était conforme aux projets futurs de Staline. En offrant subventions et assistance, Staline fit de l'Eglise une servante de l'idéologie de l'Etat.

Après avoir pourvu aux besoins de l'Eglise, Staline passa au domaine personnel du clergé en offrant des appartements plus spacieux, des automobiles et des approvisionnements de denrées rares. En politicien, Staline estima qu'il avait complètement manipulé les dirigeants de l'Eglise. C'est alors que le véritable but de la réunion fut dévoilé. Se tournant vers les métropolites, Staline dit : " S'il n'y a pas d'autres demandes, nous allons procéder au travail qui nous occupe - la création d'un soviet de l'Eglise orthodoxe russe, qui sera dirigé par le camarade Karpov. " Les représentants de l'Eglise donnèrent leur accord et l'affaire fut réglée.

A la suite d'une telle déclaration, il ne pouvait plus être question d'une Eglise indépendante. Les chefs de l'Eglise orthodoxe russe, qui avaient cédé à leurs intérêts personnels, en furent conscients tout en s'embarquant sur une voie qui faisait d'eux un instrument de l'Etat, ou plutôt de l'Empire russo-soviétique, et qui les mena plus tard à entrer en conflit avec d'autres Eglises, particulièrement avec l'Eglise catholique ukrainienne. Le lendemain, 5 septembre 1943, Molotov envoya un communiqué à la radio et à la presse pour faire connaître la décision de tenir un sobor. Le métropolite Serge fit une déclaration publique, le même jour, pour exprimer sa reconnaissance envers Staline.

Les documents des archives dénouent explicitement l'histoire tragique qui débuta par cette première réunion, au cours de laquelle l'Eglise orthodoxe russe a vendu ses croyances et son intégrité pour un gain matériel. Les documents révélés récemment donnent un tableau vivant de ces rapports irrévocables entre l'emprise russo-soviétique et l'Eglise infiltrée par le KGB, entretenus par des cadeaux personnels sous forme de fortes sommes d'argent remis au métropolite, certains allant jusqu'à 35 000 roubles en 1943 !

En ce qui concerne Karpov, il resta un officier du KGB. Pour son personnel, il cooptait également d'autres officiers du KGB. L'organisation gouvernementale responsable des affaires religieuses avait le dernier mot quant au choix de candidats pour les séminaires, les prêtres, etc. Cette relation entre le KGB et l'Eglise orthodoxe russe est demeurée jusqu'à la chute récente de l'Empire.

Cependant, la principale victime de cette braderie historique fut l'Eglise catholique ukrainienne, qui prédominait en Ukraine occidentale, mais qui existait aussi en Belarus et dans les Etats baltes. Malgré la tyrannie de Staline, l'Eglise catholique ukrainienne resta fidèle à ses idéaux.

Après la Seconde Guerre mondiale, l'Ukraine occidentale tomba sous la coupe de l'empire soviétique russe. Sous Staline, l'Eglise catholique ukrainienne perdit son existence légale, mais non son existence réelle. Le principal organisateur de la mort de jure de l'Eglise fut l'officier du KGB Karpov. Il avait convoqué un sobor du 8 au 10 mai 1946, avec l'intention que cette farce politique mettrait fin à l'existence de l'Eglise gréco-catholique ukrainienne.

Avant l'invasion de l'Ukraine occidentale par la Russie soviétique, celle-ci possédait 4 400 églises, 5 séminaires, 2 écoles, 127 monastères, 3 hebdomadaires et 6 revues mensuelles. L'Eglise était dirigée par un métropolite et comptait 10 évêques, 2 950 prêtres, 1090 moines et 540 séminaristes. L'Eglise catholique ukrainienne avait connu un très fort développement à l'époque du métropolite Andriï Cheptytskyl, qui dirigea l'Eglise de 1901 jusqu'à sa mort le 1er novembre 1944; c'est alors que le métropolite Joseph Slipyi fut choisi pour lui succéder.

L'occupation de l'Ukraine par la Russie soviétique engendra la liquidation physique de milliers d'Ukrainiens et une réinstallation forcée dans des régions éloignées de l'empire. Pour faire cesser les tortures physiques et les assassinats, peu avant sa mort, le métropolite Andriï Cheptytskyi avait acquiescé à une requête du gouvernement soviétique et de son département pour les " affaires religieuses ", en vue d'une réunion ayant pour but de " normaliser " les relations. Le métropolite Slipyi envoya une délégation à Moscou au mois de décembre 1944. Les résultats de la réunion furent rapportés correctement à Staline par Molotov, Béria et Khroutchev, particulièrement le fait que les chefs de l'Eglise catholique ukrainienne exigeaient que l'Armée rouge cesse immédiatement son entreprise de destruction. Quand la délégation de l'Eglise demanda comme garantie qu'elle ait le droit de poursuivre ses activités, elle reçut une assurance positive.

Il y avait deux raisons à cela : d'abord, une loi passée par le Radnarkom (le gouvernement) de l'URSS sur la " réouverture des centres de prière pour les cultes religieux " (l’Eglise catholique ukrainienne entrait dans cette juridiction) déclarait que les institutions religieuses devaient déclarer leur intention de traduire des offices. Deuxièmement, Staline ne voulait pas entrer ouvertement en conflit avec l'Eglise catholique ukrainienne pendant la guerre. Toutefois, Staline avait du mal à pardonner le rôle de l'Eglise, qui soutenait le mouvement national pour l'indépendance de l'Ukraine, et son soutien de la Déclaration de l'Indépendance de l'Ukraine, le 30 juin 1941.

Peu après, Molotov demanda à Karpov de trouver un moyen de liquider l'Eglise catholique ukrainienne. Karpov décida que ceci devrait avoir lieu au cours du synode prévu pour le mois de mars 1946, en infiltrant l'Eglise, en créant des conflits parmi les chefs de l'Eglise, en présentant l'Eglise orthodoxe russe comme la seule solution, et en rendant l'Eglise seule responsable de sa propre liquidation.

Le plan qui donne en détail l'étendue de l'implication de l'Eglise orthodoxe russe au niveau international, quant au genre d'insultes et de diffamations qui devaient être lancées contre l'Eglise ukrainienne, fut présenté le 15 mars 1945 (c'est le document N° 58). Parmi les arguments qui devaient être présentés pour soutenir la motion du retrait de l'Eglise catholique ukrainienne, figurent les accusations suivantes : le Pape était pro-fasciste et le Vatican était anti-démocratique.

Le projet nécessitait une préparation d'au moins six mois, étant donné que l'on invitait les chefs de l'Eglise orthodoxe du monde entier. Il fallait les préparer avant le synode ; on leur dirait donc que pour le bien de l'Eglise orthodoxe, il fallait suivre certaines directives. On se concentra aussi sur le renforcement des fraternités orthodoxes pour qu'elles fassent pression sur les chefs de l'Eglise, afin qu'ils soutiennent la seule Eglise orthodoxe. Mais la partie la plus importante du plan pour la préparation du synode, c'était la formation d'un groupe d'initiative à l'intérieur même de l'Eglise catholique ukrainienne, afin de le convaincre de voter la séparation d'avec le Vatican.

Le document des archives montre combien ce plan fut mené de main de maître. La stratégie inventée par le KGB serait utilisée par l'Eglise orthodoxe russe pour étendre son pouvoir aux dépens des autres cultes religieux. Staline approuva le plan le 16 mars 1945, et le lendemain le projet de liquidation de l'Eglise catholique ukrainienne et les directives au comité du Conseil suprême sur les " cultes religieux ", furent expédiées le 8 mai 1945 par son premier assistant, Poliansky. Le plan fut envoyé en six exemplaires accompagnés de l'instruction précise que ces exemplaires devaient être retournés après l'étude. Les six exemplaires figurent aujourd'hui dans les archives du KGB.

L'utilisation de l'Eglise orthodoxe russe pour accomplir les directives du KGB est le début de la coopération qui s'est maintenue jusqu'à récemment. Les directives tactiques et l'argumentation sont les suivantes : le Vatican était fortement opposé à l'Union soviétique pendant la guerre; le Vatican est théocratique par nature; le Vatican intervient dans la politique internationale et joue un rôle politique par l'intermédiaire des nonces diplomates ; parmi les diplomates accrédités auprès du Vatican se trouvent des représentants de la Lituanie " bourgeoise " ; le Vatican dispose, dans chaque pays, d'un appareil politique bien organisé qui informe le Pape sur toutes les activités catholiques ; en 1943, le Vatican avait envisagé un " compromis pacifique " pour mettre fin à la guerre - ce qui ne pouvait être interprété que comme un soutien au fascisme d'Hitler; dans ses lettres papales, Pie XII demandait le pardon pour les méfaits de l'Allemagne hitlérienne ; et la dernière raison : le Vatican a toujours témoigné une " aversion " pour les nations slaves de l'Europe de l'Est, et particulièrement pour l'orthodoxie orientale.

La stratégie consistait à discréditer le Pape, le catholicisme romain, et le groupe d'initiative composé de " catholiques orthodoxes " devait proposer de s'allier avec l'Eglise orthodoxe russe plutôt qu'avec l'Eglise catholique romaine. Karpov et Poliansky prévoyaient ensuite de discréditer ceux qui formeraient l'opposition. Un membre de la délégation envoyée par le métropolite Slipyi à Moscou, le Père H. Kostelnyk, de l'entourage du métropolite, devait être discrédité à cause d'un article qu'il avait écrit en 1933, intitulé " Napoléon et Staline ", et qui avait été publié dans Meta. En 1934, le même journal publia un sermon qu'il avait donné au cours d'une messe à la mémoire des millions de victimes de la famine organisée par Staline en Ukraine. Des extraits de ces articles devaient être utilisés pour discréditer Kostelnyk.

Kostelnyk fut le plus intransigeant et celui qui posa le plus de questions difficiles au cours de la réunion avec Poliansky à Moscou. Pendant cette réunion, les officiers du KGB comprirent que Kostelnyk pourrait influencer et diriger le clergé catholique ukrainien. De plus, il avait énergiquement présenté des arguments légaux et juridiques sur le droit à l'existence de l'Eglise catholique ukrainienne.

Cependant, un autre membre de la délégation, I. Vilhowyi, s'était empressé d'essayer d'être accommodant à l'égard des Russes soviétiques. Il avait demandé l'autorisation de créer un groupe qui apporterait une aide morale et financière aux anciens combattants blessés de l'Armée rouge. Mais l'autorisation ne lui fut pas accordée.

Entre temps, le KGB s'occupait de créer de faux conflits entre l'Eglise catholique ukrainienne et l'Eglise catholique romaine.

On peut lire dans l'ouvrage " Le Sobor de l'Eglise (gréco) catholique ukrainienne, 8-10 mars 1946 à Lviv ", le compte rendu le plus détaillé de cette " unification " obligée entre l'Eglise catholique ukrainienne et l'Eglise orthodoxe russe. Ce récit a été préparé et publié par le KGB. A la page 13, les auteurs ont le cynisme d'écrire que ce livre ne renferme que la vérité.

Dans les rues de Lviv, en 1946, on voyait poindre les signes du premier printemps de l'après-guerre, mais pour des millions d'Ukrainiens, celui-ci n'apporta pas l'espérance anticipée d'un renouveau. La liquidation de l'Eglise catholique ukrainienne était en marche, telle que Staline l'avait préparée, et le groupe d'initiative du clergé catholique ukrainien en était rendu directement responsable.

Ce fut le cas des soi-disant historiens et intellectuels soviétiques, qui prétendirent que la proclamation de la sécession de l'Eglise catholique ukrainienne lui avait fait perdre le droit d'exister. Mais l'analyse des documents dont il est question dans cet article, montre clairement que le groupe d'initiative fut monté par le KGB.

Ce groupe fut créé à Lviv le 28 mai 1945, à la fin de la guerre. Il était composé du Père Kostelnyk, du Père M. Melnyk et du Père Plevetsky. Le but du groupe était exprimé ainsi : " Notre Eglise se trouve actuellement dans un état de flux et de désorganisation. Cette situation a des effets désastreux sur la vie de notre Eglise. C'est pourquoi, nous,, sous-signés, avons décidé de la sortir de l'état d'anarchie. "

Le 28 mai 1945, le groupe d'initiative demanda à être officiellement reconnu. Ce fait en lui-même démontre qu'il n'y avait pas d'anarchie dans l'Eglise. Mais pourquoi ? Simplement parce qu'il fut créé par le KGB. Le 11 avril 1945, le métropolite Joseph Slipyi, les évêques Budka, M. Tcharneckyi, H. Khomyshyn et I. Latychevskyi avaient été arrêtés. Leur culpabilité fut reconnue sans jugement.

Avec l'aide du KGB, une interview du chef du groupe d'initiative, Kostelnyk, fut publiée dans Lvivska Pravda le 1er mars1946. Suivant cette interview, les dirigeants de l'Eglise catholique ukrainienne avaient été arrêtés à cause de la collaboration et de l'aide qu'ils avaient apportée à l'armée allemande d'occupation, et qu'ils avaient été accusés par un tribunal militaire. Pensant que justice serait rendue, des catholiques ukrainiens envoyèrent une pétition à Molotov. Beaucoup, parmi eux, furent arrêtés par la suite, et envoyés en camps de concentration. En Ukraine, l'Eglise catholique entra dans la clandestinité. Après de nombreuses années de torture et d'emprisonnement, le métropolite Joseph Slipyi fut relâché des goulags soviétiques, et il continua de diriger l'Eglise catholique ukrainienne en exil, en tant que Patriarche. Il vécut à Rome jusqu'à sa mort.

L'Eglise catholique ukrainienne demeura extrêmement vivante dans la diaspora. En Ukraine, beaucoup de croyants se rassemblaient dans les forêts et chez des particuliers pour adorer Dieu avec une foi inébranlable, et refusèrent toujours de se soumettre à l'empire soviétique russe.

Ivan BILAS (Kyïv)

Note

* En Occident, ce titre est traduit tendancieusement "de toutes les Russies". Or, le titre "de toute la Rous'" a toujours été et reste utilisé au singulier.