La terreur secrète :
Ordre de ne pas laisser de traces

par
S. Vyviourka
©2000 -L'Ukraine-L'Est européen-Ukraine Europe

 

" ... Avant le début de la guerre, j'ai envoyé Tsereteli dans un groupe spécial, commandé par Soudoplatov, qui avait pour but de réaliser des missions spéciales, c'est-à-dire la liquidation, l'enlèvement secret de personnes suspectes dans leurs relations et actions. Ainsi, par exemple, on envisageait la liquidation de Litvinov, de Kapitsa... Dans ce groupe j'envoyais des personnes particulièrement dignes de confiance... "
(Extrait de la déposition de L. Béria lors de l'instruction de son procès en août 1953)

Pavel Soudoplatov (1), une des personnalités les plus abjectes du terrorisme soviétique, fut l'exécutant direct de l'attentat contre le colonel E. Konovalets (2) en 1938 à Rotterdam. P. Soudoplatov est né en 1907. Membre des services de sécurité de l'URSS dès 1921. Membre du parti communiste de l'URSS depuis 1928. A partir de 1933, il fait parti du secteur étranger de l’OGPU (3). A compter de février 1941, il est l'adjoint du chef de la direction N° 1 (Renseignements) du NKGB de l'URSS. Entre 1942-1946, il est le chef de la direction N° 4 du NKVD-NKGB (Activités terroristes et guérilla). En 1945 il est général de division. De 1950 à 1953 il est le directeur du Bureau N° 1.

Le 23 mai 1938 à Rotterdam, d'après Soudoplatov lui-même, dans des " conditions de la clandestinité ", et en exécutant une mission ordonnée par le Comité Central du PC, il a personnellement tué le colonel Konovalets, fondateur et chef de l'Organisation des Nationalistes Ukrainiens. Soudoplatov a confirmé que l'ordre de tuer Konovalets, comme celui de tuer Trotski, venait de Staline.

Après avoir éliminé le colonel Konovalets, Soudoplatov en rendit personnellement compte au commissaire du peuple auprès du NKVD, L. Béria, et reçut de celui-ci la mission de tuer L. Trotski. Il était assisté dans cette action par Naurn Eitingon (alias Kotov, alias Naumov, etc.). On sait ce qui s'est passé ensuite. Voici ce qu'en dit Soudoplatov dans son adresse au XXIII' congrès du PC le 9 mars 1966 : " ... Nous avons accompli avec succès la mission confiée par le Comité Central du PC en ce qui concerne Trotski... Je ne vais pas entrer dans les détails. Ils sont connus du CC du PCUS par les rapports oraux et écrits concernant l'élimination du Trotski. Par décision particulière, en juin 1941, nous avons été tous les deux (il s'agit de lui et d'Eitingon) décorés pour cette action... "

Pour nombre de vétérans grisonnants du PCUS, vétérans de guerre et du travail, qui ont cru les affabulations selon lesquelles le principal responsable des répressions massives, des assassinats, du génocide envers son propre peuple, était Béria, et que Staline et le parti ne savaient rien, ce fut un coup terrible. Non seulement ils savaient, mais ce sont eux - les membres du Comité Central du PC - qui donnaient les ordres au plus haut niveau. Et pour des meurtres secrets, souvent commis dans des conditions particulièrement dangereuses pour les gens qui pouvaient se trouver à proximité, comme ce fut le cas avec l'explosion de la bombe en plein jour et dans une rue très fréquentée de Rotterdam, les terroristes galonnés, officiers du NKVD-MGBKGB, reçurent les plus hautes distinctions de l'Etat:

ULTRA-SECRET
Le 6 juin 1941
N° 18941/b
Comité Central du PC (des bolcheviks), Conseil des Commissaires du Peuple de l'URSS
Au camarade Staline I.V.

Un groupe d'agents du NKVD a rempli avec succès une mission spéciale en 1940.

Le NKVD demande l'attribution de l'ordre de l'Union Soviétique aux six camarades qui ont pris part à l'accomplissement de cette mission.
Je demande votre décision.
Le commissaire du peuple aux affaires intérieures. L. Béria
Staline ajouta sa décision : " Pour (sans publication). "

Et Soudoplatov obtint l'ordre du Drapeau Rouge pour l'assassinat de Trotski. Cet ordre était très populaire parmi les assassins du NKVD-MGB-KGB, si l'on se rappelle que l'assassin de S. Bandera (4) l'a reçu lui aussi.

L. Trotski fut tué d'un coup de pic à glace sur la tête. Plus tard le NKVD-MGB reviendra à la pratique de l'assassinat au moyen d'une hache. Rappelons ne serait-ce que l'assassinat de l'écrivain Y. Galan à Lviv. Cet assassinat était indispensable au MGB de l'URSS pour pouvoir dire que l'écrivain avait été tué par les nationalistes, et de cette manière discréditer et noircir l’OUN et l'UPA (5).

Pour ce genre d'actions, le NKVD-MGB disposait de groupes spéciaux du MGB, qui sous le déguisement d'unités du service de sécurité de l’OUN ou de l'UPA commettaient des pillages, des assassinats, des viols.

Voici un autre document des archives soviétiques :

ULTRA-SECRET
Au Commissaire du peuple aux affaires intérieures de l'URSS L. Béria
26.07.1945
N° 8/156451

Information sur l'organisation et les résultats du travail des groupes spéciaux pour la lutte contre le banditisme de l’OUN dans les régions occidentales de l'Ukraine.

En relation avec la destruction progressive des bandes de l'UPA, et la liquidation du réseau de l'OUN et en accord avec le travail politique du parti dans les régions occidentales de l'Ukraine, à compter dit printemps 1944 s'est accrue le nombre des repentis parmi les bandits de l'UPA, parmi les membres de la clandestinité de l'OUN et parmi ceux qui ont refusé de servir dans l'armée rouge.
Tenant compte du fait qu'une partie de ceux-ci ont de nombreux liens avec les dirigeants de la clandestinité de l’OUN (et) de l'UPA, et sont bien informés des méthodes de conspiration de la clandestinité anti-soviétique, nous avons commencé à utiliser une partie de ces gens comme agents-combattants, puis ensuite dans des groupes de combats à missions spéciales que nous appelons groupes spéciaux.
Les agents-combattants recevaient comme tâches de pénétrer la clandestinité de l’OUN ou les bandes de l’UPA en vue de s'emparer ou de liquider physiquement les dirigeants de l'OUN-UPA...
Dans les régions de Rivne et de Volynie, des anciens partisans du groupe de Kovpak ont été versés dans ces groupes spéciaux...
La composition de chaque groupe spécial varie de 3 à 50 personnes ou plus, suivant la légende et la mission qui sont attribuées au chef de bande ou à l'unité de l'UPA auquel il est censé appartenir...
Au 20 juin 1945, 156 groupes spéciaux totalisant un nombre de 1783 personnes sont opérationnels dans les régions occidentales de l'Ukraine...

Le commissaire du peuple aux affaires intérieures du NKVD de la RSS d'Ukraine, Riasny (6)

 

Quelles méthodes utilisaient ces " groupes spéciaux du MGB de l'URSS " dans leur activité pratique ? Nous trouvons la réponse dans les archives, qui étaient encore secrètes il y a peu de temps. Un des documents dit :

ULTRA-SECRET
Le procureur militaire des troupes du MVD
Région Ukraine
15 février 1949
N° 4/001345 au secrétaire du comité central du PC (des bolcheviks) d'Ukraine, le camarade M.S. Khroutchev

Note-mémoire sur de grossières violations de la légalité soviétique dans l'activité des groupes spéciaux du MGB

Le ministère de la sécurité dEtat de la RSS d'Ukraine et son administration dans les régions occidentales de l'Ukraine, ayant pour but la découverte de la clandestinité nationaliste ukrainienne, utilise largement des groupes spéciaux qui agissent sous le déguisement de bandits de " l'UPA "...

Mais comme le démontrent les faits, le travail d'une grossière provocation et peu intelligent de ces nombreux groupes spéciaux, qui ont recours à l'arbitraire et à la violence envers la population locale, non seulement ne faci, lite pas la lutte contre le banditisme mais au contraire, il la complique...

1) ... En faisant croire qu'ils étaient membres des bandits " UPA "..., " Krylatij " et les membres de son groupe ont torturé Palamartchouk A. H et Palamartchouk Z. H, en les suspendant, leur versant de l'eau dans le nez et les rouant de coups sévèrement, les ont obligés à avouer qu'ils... étaient en relation avec des membres de la clandestinité nationaliste ukrainienne...

2) ... Dans la nuit du 22 juillet 1948. un groupe spécial du MGB a emmené dans la forêt, Kotlovskyi Fedir Léontiovytch qu'ils ont torturé... A la suite des tortures, Kotlovskyi est resté à l'hôpital du 27 juillet au 27 août 1948. D'après le rapport de la clinique Kotlovskyi F.L. a subi de lourds dommages corporels, commotion du cerveau et nécrose des tissus mous de la chair...

3) Dans la nuit du 22 juillet 1948... le groupe spécial a emmené dans la forêt... Mykhaltchouk S.V. invalide de guerre...

Dans la forêt, Mykhaltchouk a été soumis à un interrogatoire. Au cours de l'interrogatoire il a été attaché suspendu et fortement battu...

4) Dans la nuit du 23 juillet 1948... un groupe spécial a emmené dans la forêt la citoyenne Ripnytska N.Y., née en 1931.

Dans la forêt, Ripnytska a été torturée. Lors de l'interrogatoire les membres du groupe spécial l'ont brutalement battue, ils l'ont suspendu la tête en bas, lui ont mis un bâton dans le sexe et ensuite l'ont violée à tour de rôle.
Ripnytska fut abandonnée dans la forêt où elle a été trouvée par son mari qui l'a emmenée à l'hôpital; elle y fut soignée pendant une longue période...

Les membres des groupes spéciaux du MGB commettent des pillages aux dépens des habitants locaux...
Les exemples cités démontrent que les actions des groupes spéciaux du MGB ont nettement un caractère de banditisme...
... Les exemples d'activités des groupes spéciaux qui ont conduit à des actes criminels peuvent être prolongés, mais les matériaux dont dispose la procurature militaire ne comprend pas, bien sûr, tous les cas de transgression de la légalité soviétique qu'ont pu commettre les groupes spéciaux. Les faits que je vous rapporte ont été établis lors d'enquêtes judiciaires concrètes, cependant tous les cas d'atteintes à la légalité soviétique ne sont pas représentés par des enquêtes judiciaires. Il me semble que la majorité des faits ne sont en fait recensés par personne...

Le procureur militaire des troupes du MVD de la région Ukraine, colonel judiciaire, Kocharskyi (7)

Il existe de nombreux autres documents officiels soviétiques qui dévoilent les activités criminelles des " groupes spéciaux " du ministère de la sécurité russo-soviétique. Ces groupes spéciaux du MGB formaient en fait des bandes criminelles, comme le décrit par ailleurs un rapport ultra-secret adressé au général Gorchkov, par le chef d'un de ces groupes spéciaux opérant sur le territoire de la région de Ternopil, groupe qui se faisait passer pour une unité de contrôle du service de sécurité (SB) de l'OUN de Bandera :

ULTRA-SECRET
Au général-major, camarade Gorchkov

... Lorsque j'ai pris de nouveau le commandement du groupe, je me suis aperçu que le groupe était très relâché, les soldats commençaient à se livrer au pillage, revendant le butin pour se saoûler, et le groupe commençait à ressembler à une bande criminelle. Mais toute cette désagrégation a aussi des effets positifs : les pillages et l'ivrognerie ont rapproché les gens (du groupe) et il n'y a plus eu de cas de désertion (8).

J'ai pris conseil auprès des commandants du groupe spécial, pour savoir s'il ne serait pas mieux pour nous de changer de méthode de travail : ne plus aller dans les villages sous l'aspect des bandes en vue de découvrir de cette manière les bandits, mais enlever dans les villages

les gens qui sont répertoriés par le service de renseignement du NKVD comme ayant des liens avec les bandits, puis les interroger comme si nous étions du " SB " (Service de sécurité de VOUN), les accusant d'être des mouchards. Les commandants du groupe ont approuvé cette idée, disant que le travail avancera mieux de cette ma, mère, et que cette méthode est bonne parce que les bandits ne pourront pas découvrir notre activité...

... Le groupe qui opère dans les districts de la région de Ternopil sous couvert d'une unité de contrôle du SB, est indécelable dans ses activités par les bandits.

Les combattants du groupe, habillés d'uniformes de l'armée rouge, stationnent dans les villages à proximité du chef-lieu de district, y préparant des caches où l'on peut mener des interrogatoires même de nuit. Déguisés sous des uniformes irréguliers, ils partent en opération pour s'emparer d'objectifs définis à l'avance.

3.1.1945
Ville de Tchortkiv major (Sokolov)
(9)

 

L'activité de tous ces groupes spéciaux du NKVD-MGB était organisée et dirigée par Moscou. Voici ce qu'écrit le chef du service " DR " (Diversion et terreur) du MGB qui, à partir de 1950, devint le directeur du Bureau N° 1, P. Soudoplatov:

" ... Par ordre du nouveau ministre Abakoumov, en 1946, on me donna à moi et à Eitingon la mission d'organiser et de diriger le Service Spécial du MGB de l'URSS. Dans le cadre de notre mission nous devions organiser le travail spécial de renseignement et de diversion à l'étranger ainsi qu'à l'intérieur du pays, contre les ennemis du parti et de lEtat soviétique. En particulier, suivant la décision spéciale du Politburo du CC, nous préparions des opérations de combat (lire : assassinats secrets.) en France, en Turquie, en Iran... A l'intérieur du pays, durant la période du second semestre 1946 et en 1947, nous effectuâmes 4 opérations :

1. Sur ordre du membre du Politburo du CC du PCUS et premier secrétaire du CC du PC d'Ukraine, Khrouchtchev, et d'après un plan établi par le MGB de la RSS d'Ukraine et approuvé par Khrouchtchev, dans la ville de Moukatchiv lut liquidé l'évêque Romia, chef de l'Eglise gréco-catholique...

2. Sur ordre de Staline, dans la ville d'Oulianovsk lut éliminé le citoyen polonais Samet...

3. A Saratov fut liquidé le célèbre ennemi du parti Choumskyi, qui donna son nom au " choumkisme ", un des courants du nationalisme ukrainien. Abakoumov, en donnant l'ordre de cette opération, se référait aux directives de Staline et des Kaganovitch.

4. A Moscou, sur directive de Staline et de Molotov, fut liquidé le citoyen américain Hoggins, qui interné dans un camp soviétique pendant la guerre, avait réussi à entrer en contact avec l'ambassade des USA en URSS, et les Américains avaient envoyé plusieurs fois des notes demandant sa libération et le droit de revenir aux USA.

En accord avec le Règlement du travail du Service spécial, confirmé par le gouvernement, les ordres des opérations citées étaient donnés par le ministre de la sécurité dEtat, Abakoumov. Il était bien connu de moi et de Eitingon qu'Abakoumov rendait compte de toutes ces opérations au CC du PC (des bolcheviks) de l'URSS... "

Du reste, dans le jugement du procès de Soudoplatov il fut indiqué que la liquidation physique de personnes était (citation du texte original) : " des opérations menées à la demande expresse du gouvernement... "

 

En 1950, eut lieu une réorganisation du Service Spécial du MGB de l'URSS, sur la base de quoi fut créé ce qu'on nomma les Bureaux N° 1 et N° 2.

En 1953, le Bureau N° 1 réalisa à Munich l'assassinat de Wolfgang Salus, secrétaire et garde du corps de L. Trotski. Sur cette opération du MGB, S. Ignatiev (chef du MGB-KGB à cette époque) fit un rapport en mars 1953 à Malenkov, Béria, Khroutchev, Molotov, Boulganine, écrivant ce qui suit : " La liquidation de Salus effectuée par un agent du MGB, de nationalité allemande, qui lui prescrivit le 13 février une ordonnance spéciale qui provoque la mort au bout de 10 à 12 jours. Peu de temps après, Salus tomba malade et mourut le 4 mars dans un hôpital de Munich. Lors du contrôle de l'opération, par différentes sources, on apprit que l'empoisonnement de Salus ne souleva aucun soupçon. Les médecins constatèrent que la mort était survenue à la suite d'une inflammation pulmonaire... "

Munich sera encore secoué par l'assassinat secret de Stepan Bandera en 1959, par un agent du KGB. La recette sera la même, l'utilisation d'un produit spécial à base de cyanure, mais de manière plus moderne en utilisant un pistolet spécial pour projeter le poison.

Voici le témoignage d'une personne qui a longtemps travaillé au PGU (Renseignement à l'étranger) du KBG, le général en retraite 0. Kalouguine dans son livre " Les chefs du renseignement " (traduit du russe) :

" ... Alexandre Sakharowski, qui dirigeait le PGU au milieu des années 50, était incontestablement un professionnel de grande classe... Toujours l'air sévère, comme si des soucis le travaillaient, Sakharowski était le type de chef dont on prononce le nom avec crainte et respect... Je pense que dans le regard sombre et le côté taciturne de Sakharowski il y avait un secret, au sujet duquel on préfère se taire chez nous encore aujourd'hui. Il portait sur lui le fardeau de la responsabilité des " affaires mouillées " du renseignement soviétique. Par ses ordres et à sa connaissance furent physiquement liquidés le chef des nationalistes ukrainiens S. Bandera ainsi que Lev Rebet, un attentat contre Khokhlov ex-exécutant d' " affaires mouillées " , on préparait l'assassinat de chefs de l'émigration anti-soviétique,. Okolovytch et Poremski, des anciens collaborateurs du NKVD-KGB,, Orlov, Petrov, Deriabine, Golitsine, Nossenko, Lialine; on envisageait de refaire un attentat contre Khokhlov. Sakharowski a personnellement ordonné d'empoisonner l'irlandais Shean Berk au moyen d'un produit qui ruine progressivement la santé en commençant par l'activité principale du cerveau. Cela se passa avant que Berk quitte Moscou... Comme on le sait, Berk est mort en Irlande, à l'âge de 47 ans... "

Comme on le voit, malgré le fait que le XXe Congrès du PCUS ait condamné le culte de la personnalité de Staline, le fond cruel du système était resté inchangé : intrigues, assassinats politiques, empoisonnements, etc.

On éliminait d'ailleurs non seulement les adversaires du système, mais aussi ceux qui l'avaient fidèlement servi. Rappelons ne serait-ce que le nom du tueur professionnel du KGB, Khokhlov, que l'on tenta de supprimer parce qu'il en savait trop. On comprend alors l'attitude de l'assassin de S. Bandera, qui se réfugia en Allemagne de l'Ouest. Cet homme, Stachynsky, comprenait parfaitement qu'il serait lui-même la prochaine victime en tant que témoin gênant. Le régime bolchévique a toujours agi par des méthodes secrètes, sans ménager la vie des siens ni celle des autres. Les tueurs recrutés devraient être conscients qu'en exécutant les ordres de leurs supérieurs, ils ont commis des péchés mortels, et que le châtiment retombera sur leur tête.

Des disparitions récenteses de patriotes ukrainiens : du député du Parlement ukrainien, membre du Parti Conservateur Républicain Ukrainien, Roman Koupera, ainsi que du héros de l'Union soviétique, le lieutenant-colonel Yaroslav Horochko, fils d'un combattant de l'UPA. Tous deux étaient âgés de 35 ans. Tous les deux jeunes et pleins de vitalité. Et brusquement en l'espace de dix jours, deux morts : chez R. Koupera, hémorragie cérébrale, et chez Y. Horochko, un officier des troupes spéciales qui passait régulièrement des contrôles médicaux sévères,  un infarctus.

On peut en tirer la conclusion qui s'impose. Mais il ne faut pas oublier que depuis les années 30, il existait au sein du NKVD un groupe spécial connu par un nombre de gens très restreint. Les initiés le dénommaient "groupe de Yacha", du nom de son premier chef, Yakov Serebrianski. Pavel Sodoplatov en parle dans ses mémoires. Ce groupe avait son propre réseau à l'étranger, ainsi qu'un laboratoire qui préparait des produits chimiques, tels que poisons violents, bactéries. A partir de 1939, c'est le 4e secteur spécial du NKVD dirigé par Filimonov, pharmacologue et scientifique, qui prit en main les recherches du laboratoire concernant les poisons et préparations spéciales. Les chefs au sein du 4e secteur étaient Serge Mouromtsev (plus tard l'académicien Vaskhnil, directeur de l'Institut épidémiologique et microbiologique et Grégory Maïranovski. Lors du procès de L. Béria, G. Maïranovski donna des preuves que le laboratoire expérimentait les poisons sur des personnes vivantes. C'est le général A. Hertsovski, chef du département A du MGB qui fournissait les gens pour les expérimentations mortelles des "scientifiques", mortelles parce que les personnes servant aux expérimentations ne devaient pas rester en vie, l'ordre était catégorique : ne laisser aucune trace, ni aucun témoin! Le poison pour éliminer des opposants politiques fut utilisé aussi en 1978, en Angleterre, contre le dissident bulgare G. Markov.

Jusqu'en 1991, le laboratoire faisait partie du département OTU (Administration opérations techniques) du KGB de l'URSS. Le destin ultérieur du laboratoire et de ses agents est inconnu.

Les morts suspectes de patriotes ukrainiens, les enlèvements et les disparitions inexpliqués de personnalités ukrainiennes, ainsi que des répressions plus ou moins évidentes envers leurs familles avaient pour but , au mieux de les terroriser, au pire de les éliminer.

S. Vyviourka 
©2000 -L'Ukraine-L'Est européen-Ukraine Europe

Notes

  1. " Maître-espion " soviétique; voir ses mémoires Missions spéciales, Seuil, 1994.
  2. Yevhen (Evhen) Konovalets (1891-1938), président de l'Organisation des nationalistes (OUN), assassiné sur l'ordre de Moscou à Rotterdam le 23 mai 1938. L'OUN a lutté militairement contre l'occupation allemande et ensuite contre l'occupation russo-soviétique de l'Ukraine.
  3. Prédécesseur du KGB.
  4. Stepan Bandera (1909-1959), président de l’OUN à partir de 1940.
  5. OUN : Organisation des nationalistes ukrainiens dirigée par Stepan Bandera (ne pas confondre avec l’OUN dirigée par Andriï Melnyk) ; UPA : Armée de résistance ukrainienne organisée par l’OUN de Bandera qui après avoir lutté contre les Allemands, a poursuivi la lutte contre le régime russo-soviétique (la dénomination ukrainienne est Armée insurrectionnelle ukrainienne).
  6. Archives de la RF de Russie, GA RF op. 1, spr 400, f. 8197, Ivan Bilas, Repressyvno-karalna systema v Oukraïni 1917-1953, vol 2, recueil de documents, Kiev, 1994, doc. 58, p. 460-464.
  7. CDAHO d'Ukraine, F. 1, op. 16, spr. 68, f. 2-10; Ivan Bilas, op. cit., p. 469-477.
  8. Le groupe avait plus de 60 hommes.
  9. DA RF F. 9478, op. 1, d. 487, f. 212-223; Ivan Bilas, op. cit., p. 435-447.